Le récit de l’accident

Et soudain… Tout bascule…

Prologue

Samedi 14 Mai 2005

La semaine passée à encadrer des jeunes géologues sur le terrain touche à sa fin. La météo a été correcte jusqu’à aujourd’hui, ce qui m’a permis de gravir quelques jolis sommets dans cette belle région, très riche géologiquement parlant, entre Barles et Digne. J’ai également appris pas mal de géologie, et j’ai récolté quelques petits fossiles. Le programme de la journée est de faire une synthèse avec tous les groupes qui ont couvert chacun un terrain différent. Malheureusement, la pluie se déchaîne rapidement, et nous décidons de rentrer directement sur Grenoble.

A 16h je suis chez moi, la météo de demain est radieuse, et après quelques coups de fil, rendez-vous est pris à 18h, place de la Grande Moucherolle comme toujours, avec Fanfan et David Pschitt pour une virée dans le grand Oisans, du côté de la Grande Ruine…

Ce n’est pas sans hésitation et sans un pincement au cœur que David nous accompagne : il a juste croisé sa femme et sa fille qui rentraient d’une semaine de vacances. Il les verra donc seulement demain. Je passe prendre le Fanfan, toujours à la bourre, mais comme je lui avais dit 17h30, nous serons à l’heure.

On papotte, on rigole, on fait des projets. Pour demain, nous irons donc voir en face Nord de la Grande Ruine : une des 3 pentes très raides du secteur sera bien en condition ! Nous rêvons tous de la sur-exposée face NNE du Pic Maître, du mythique couloir du Diable et du couloir de l’Ange que David et moi avons déjà titillé l’année passée, sans succès.

Peu avant 20h, nous arrivons au parking. Départ échelonné : François n’a pas encore faim, il part direct et mangera au refuge. David grignote un peu puis file également, tandis que je me fais un bon petit gueuleton. Les sacs sont lourds (surtout quand on porte raquettes et surf) et je mets 1h15 à rejoindre le refuge de l’Alpe du Villar d’Arène, où m’attendent déjà mes joyeux compères.

Comme toujours l’ambiance est à la franche rigolade, et après avoir commandé nos petits déj et payé notre nuitée (ou pas) nous allons nous coucher, sereinement. Mes polaires, pas lavées depuis plusieurs sorties, incommodent quelques peu mon voisin David, qui aurait mieux fait de mettre ses boulquies dans le nez !

Happés par le Diable

Dimanche 15 Mai 2005

Réveil 4h00. François ne se lève pas, mais David et moi, surmotivés, partons sans lui. Beaucoup de portage pour l’époque puisque nous devons porter bien au-delà de Valfourche ! Peu après le pont, nous abandonnons quelques affaires devenues inutiles (polaire, frontale, bouffe, …) que nous cachons sous des rochers. Nous voilà hyper-light.

Plus haut, vers 2300m, nous pouvons enfin chausser, et c’est péniblement que j’avance dans cette neige qu’une fine couche de neige fraîche a empêché de regeler. Je m’enfonce donc pas mal, malgré les raquettes, et David doit m’attendre. Vers 2600m, nous avons rejoins la moraine, et commençons à voir l’Ange, assez sec.

Je ne suis pas d’accord avec David pour qui c’est pire que l’an passé (le 4 juin !) alors que pour moi c’est pareil, et je suis persuadé que ça passe sans problème. Le Pic Maître, quant à lui, nous met d’accord : en conditions pour le dry-ski, ça ne passe absolument pas !

Il est encore tôt, nous avons le temps, et décidons d’aller faire un petit détour pour admirer le couloir Nord issu du col du Diable. Entre temps, un skieur nous rejoint, c’est François qui s’est offert une heure supplémentaire de sommeil. Il semble peu motivé pour attaquer une de ces pentes en ski, mais nous accompagne cependant au pied du Diable. Nous sommes impressionnés par les monstrueux séracs du glacier sous le col du Diable, qui semblent surgir de nulle part.

Les impressionnants séracs au pied du col du Diable.

Et soudain, incroyable mais vrai, le couloir est entièrement blanc ! Certes l’étroiture nous donneras du fil à retordre et vaudra peut-être un déchaussage, mais le reste s’annonce du très très grand ski ! Nous ne voyons cependant pas encore la sortie et nous continuons à monter. Il fait très beau mais un peu frais, et maintenant un vent carrément froid descend du couloir et nous glace le sang. C’est « l’haleine du Diable », comme le fait remarquer François qui ne croit pas à la skiabilité de la sortie, toujours invisible, et préfère partir vers un col quelconque du Vallon, où d’autres skieurs se sont déjà engagés.

Pour ma part, le col de l’Ange ou celui du Diable me vont très bien, et David est chaud pour le Diable. C’est donc vers celui-ci que nous nous dirigeons, subjugués par l’ambiance grandiose des lieux. En effet, ce couloir s’insinue entre deux parois rocheuses très raides et très impressionnantes, et le couloir lui-même, très raide, est parmi les plus difficiles et capricieux de l’Oisans.

Ainsi happés par le Diable, nous contournons la barre de Glace qui doit faire 30m au plus haut, et nous en oublions les règles élémentaires de prudence. David en tête (je suis toujours ralentit par l’enfoncement des raquettes) fait une remarque à propos d’une zone où une plaque très fine part sous ses skis, mais rien d’inquiétant. Je le suis, j’ai confiance en lui, il est serein mais évite le cône de déjection sous le couloir, car ses skis zippent. Je fais un sondage avec mon bâton et il s’enfonce d’un bon mètre de manière inhomogène.

Je signale à David la grosse accumulation, mais là encore, nous sommes hyper confiants, et David continue. Nous sommes naturellement espacés mais David fait une conversion et repasse au-dessus de moi, peu en dessous d’une barre rocheuse dans l’axe du couloir. On parle, du couloir, de l’étroiture. François s’était arrêté plus bas, et commence maintenant à revenir vers nous, ce qui ne peut vouloir dire qu’une seule chose : il a vu la sortie du couloir et ça paaaaAAAAAASSSSSSSssssse !

David fait encore un pas, et soudain, le sol se dérobe : une plaque se détache et commence à glisser, lentement, inexorablement, puis de plus en plus vite. J’essaye de maintenir mon équilibre, je pense à enlever mon sac pour ne pas qu’il m’entraîne au fond. En vain. Je bascule, je roule, je mange de la neige, je suffoque déjà et je ne suis même pas encore enseveli ! Car dans ma tête déjà c’est clair : je ne vois plus rien, tout me bouscule, je vais être enseveli. Il faudra tenir jusqu’à ce qu’on me retrouve. David lui aussi est emporté, et passe également en mode survie, mais plus mobile sur ses skis, il se lance dans la pente et parviens à s’échapper sur le côté.

Le couloir issu du col du Diable, en face Nord de la Grande Ruine, 3 semaines après notre tentative. Photo Claude Helmstetter.

Tout à coup, je ne suis plus brassé, je suis en apesanteur ! Un long moment s’écoule puis un choc violent, dans les pieds me semble-t-il. La douleur dans le bas du dos est localisée et vive, et instantanément je ne sens plus mes jambes, je n’ai plus conscience de mes jambes. Je roule un peu et m’immobilise rapidement en surface. Merci mon Dieu, je suis en vie, je ne suis pas enseveli ! Oh bien sûr j’ai une fracture de la colonne, et je n’ai plus mes jambes, mais je vivrais !

David m’appelle de plus haut : « ça va ? ». « Non, pas du tout » répondis-je.

David me rejoins et je lui explique la situation : j’ai sans doute sauté une barre de sérac, ces falaises de glaces qui nous impressionnaient tant ! Je ne sens plus mes jambes, j’ai une fracture de la colonne, je n’ai pas eu de choc à la tête, je suis resté conscient tout du long.

François a assisté à la scène de loin, et après un échange verbal avec David, il fonce immédiatement appeler les secours, le téléphone portable ne passant pas dans ces contrées reculées de l’Oisans sauvage.

David est très secoué, et a peur d’une improbable chute de séracs. J’essaye de le rassurer. Je lui demande de m’installer doucement, j’ai perdu un gant dans la bataille et déjà le froid me gagne. Je sais qu’il ne faut pas déplacer les blessés de la colonne, mais le mal est fait, et David est précautionneux. Il parvient finalement à glisser mon sac sous le ventre pour m’isoler du froid, et à me remettre un gant, après avoir réchauffé ma main gauche déjà toute engourdie. David est impressionné par l’inertie de mes jambes.

Calmement, froidement, je répète à David que je suis vivant, et qu’au pire maintenant, je finirais ma vie en fauteuil roulant, que c’est une vie qui peut être agréable tout de même, y’a bien pire !

En rouge la cassure principale de la plaque, en bleu la trajectoire de l’infortuné Nat, avec le vol par dessus le sérac en pointillé.

J’ai mal. J’ai froid. Quelque part, mon calme froid, ma sérénité et mon détachement m’étonnent, m’effrayent un peu. Je demande à David de prévenir Bérengère lorsqu’il sera de retour à la bagnole : « Dis à Bérengère que je l’aime, que je suis content d’être en vie, et que je suis désolé. »

Le temps passe, je suis anesthésié en partie par la douleur, en partie par le froid. Je ferme les yeux, et de toutes façon je ne verrais rien, ma tête est dirigée vers le sol. François mets 40 minutes pour atteindre le refuge, d’abord à ski, puis abandonnant tout son matos et courant dans l’herbe. L’hélico du PGHM de Briançon arrive 20 minutes plus tard, soit une heure après l’accident.

L’Ange venu du Ciel

Froid, douleur. Je grelotte violemment à présent. Un bruit lointain… C’est un hélico ! David leur fait signe, ils viennent vers nous. Le bruit est de plus en plus fort, le vent est bien sensible à présent et balaye de la neige. Je retiens ma respiration mais David me protège. L’hélico dépose un gendarme, qui analyse rapidement la situation : neige molle, pas besoin de crampons, pas (ou peu) de risque de sur-accident, il dit au pilote de déposer le toubib et l’autre secouriste. La toubib. Quelques questions : « Vous avez perdu connaissance ? où avez-vous mal ? », elle me diagnostique un tassement de vertèbre, mais je la reprends rapidement et lui dit que c’est plus que ça. « Troubles neuros, on le transfère directement au CHU de Grenoble ». Elle veut me mettre sous morphine. Malheureusement, la perf est difficile à mettre en place dans ces conditions : je tremble, j’ai froid et donc mes veines ne sont plus visibles. Ca se transforme en boucherie, j’ai plus mal au bras qu’au dos ! J’apprendrais plus tard qu’en plus d’un essai raté, elle a du repiquer car il manquait un embout…

On me place dans le KED (matelas qui maintient les cervicales) avec une minerve et une sangle frontale qui m’immobilise bien comme il faut. La morphine fait effet : le temps se déforme, le voyage devient onirique, dans un demi-sommeil où la douleur a disparu. Je suis treuillé par l’hélico qui ne peut pas se poser dans ces pentes à 30°, puis posé sur un replat avant d’être embarqué dans la cabine. Re-decollage direction le CHU de Grenoble. De ce baptême d’hélico je ne me souviendrais que du plafond de la cabine et d’un morceau de ciel bleu avec quelques nuages qui défilent très vite.

Demi-sommeil. J’ai toujours froid, je suis transféré dans une ambulance puis aux urgences. Je ne me souviens d’aucune attente, de toutes façon le temps est distendu, comme dans un rêve.

Scanner, avec injection d’un marqueur (iode ?).

Une voix, un visage : « Je suis le professeur Gay, vous avez une fracture de la colonne, je vais vous opérer ».

Une autre voix : « Des numéros de téléphone des personnes à prévenir ? » Je donne les numéros de Bérengère et de mes parents.

D’autres questions : age, poids, allergies, antécédents médicaux. Je dresse la longue liste de mes précédentes interventions chirurgicales.

Demi-sommeil à nouveau.

« Respirez là-dedans… »

Salle de réveil, j’ai soif, toujours le demi-sommeil de la morphine et pas de douleurs. Je grelotte encore !

Chambre d’hôpital. Je refais surface, il doit être pas loin de 21h et je n’ai plus froid. Je suis truffé de tuyaux : perfusion, drains, sonde urinaire. Mes parents sont là, ils ont fait les 6h de route qui séparent Grenoble de Strasbourg immédiatement après avoir reçu le coup de fil. Bérengère arrive elle aussi. Je raconte l’histoire.

C’est un énorme coup dur que je fais subir à mes proches, je m’en veux.

Paraplégique

Les jours qui suivent à l’hôpital sont assez pénibles : il fait vraiment trop chaud ici !!! Beaucoup, beaucoup de visites, les gens sont touchés. Mes parents restent toute la semaine, et s’occupent de pas mal de choses pratiques, notamment dans mon appart…

Bérengère est effondrée. Tant de projets lui semblent mourir avec cet accident, dont notre mariage, prévu pour le 13 juillet.

Je n’ai pas le droit d’être sur le dos afin que la cicatrice de 25cm que j’ai dans le dos se referme bien. C’est donc régulièrement qu’on vient me tourner d’un côté sur l’autre, avec une cale dans le dos. Les différents soignants sont plus ou moins délicats dans cette procédure de retournement, souvent douloureuse au début. Cependant, je me remets assez bien de l’opération, puisque après 3-4 jours, je n’ai plus besoin de morphine. Enfin presque …

En effet, une nuit, des douleurs insoutenables au ventre se font sentir. J’appelle l’équipe de garde, et ce soir c’est LE duo de choc : aussi incompétent qu’antipathique. Un homme, costaud, et « lourd » et une minette complètement débile, qui souris aux blagues stupides de son partenaire. C’est donc d’abord un anti-douleur léger qu’ils me donnent pour me soulager, sans effet, puis, devant mon insistance quant à la douleur et dans un excès de générosité, c’est une bonne dose de morphine qu’il me donne, et qui me permet de prendre quelque repos. Le lendemain j’ai toujours aussi mal, et l’équipe de jour qui prend le relais se rend compte de la boulette : ma sonde était « clampée », et c’est donc ma vessie qui était sur le point d’exploser ! Soulagement immédiat lorsque enfin, je peux pisser …

Les kinés sont le meilleur moment de la journée. On me « verticalise » progressivement sur une table, on mobilise mes jambes, on teste ma motricité et ma sensibilité.

De ce côté-là, c’est simple : ma sensibilité et ma motricité s’arrêtent au niveau des os du bassin, à part une petite zone sur la cuisse gauche, dont la sensibilité, bien qu’altérée, est plutôt encourageante. De même un de mes aducteurs droit semble réagir faiblement à mes ordres implacables.

Le professeur Gay m’explique que l’opération s’est bien déroulée, que la moelle épinière a pu être bien dégagée. Je quitterais donc l’hôpital rapidement pour le Centre Médical Universitaire Daniel Douady (CMUDD), centre de rééducation du plateau de St-Hilaire du Touvet, en Chartreuse, à 1100m d’altitude. Il y fera plus frais !

J’apprends par ailleurs par le docteur qui me suivra au CMUDD, que l’opération a été effectuée dans des délais très rapides, ce qui augmente mes chances de récupération, bien que personne ne puisse dire, ni combien je vais récupérer ni quand. Je sais par ailleurs d’expérience que la récupération des nerfs se fait sur un temps caractéristique de l’ordre de 6 mois.

Lorsque je dois quitter l’hôpital pour le CMUDD, j’ai le malheur de déclarer à l’équipe médicale que j’ai eu du mal à respirer la nuit dernière à cause d’une douleur intercostale sur le côté gauche…

« Alerte rouge, à toutes les unités, nous soupçonnons une embolie pulmonaire. Faites venir l’équipe radio dans la chambre 5M15 pour une radio des poumons ! » Aussitôt dit, aussitôt fait. La radio des poumons ne montrera rien d’anormal. Le lendemain, c’est un doppler veineux qui s’avère négatif. L’ultime examen, la scintigraphie pulmonaire, où on injecte un produit radioactif dans le sang (du Technetium, demi-vie de 6h) et on respire un gaz radioactif (Xenon, demi-vie de 13 secondes). Entre-temps, mon point de côté a disparu, mais cet examen révèlera finalement une mini embolie pulmonaire … sur le côté droit !

Bref, mon départ du Sauna Hospitalier Universitaire (SHU) a été reporté de 4 jours, et les kinés m’ont délaissés pendant 2 jours (me croyant parti)…

De mon séjour à l’hôpital je me souviendrais de la présence à mes côtés de mes parents et de Bérengère qui ma fait vraiment beaucoup de bien.

Je me souviens également du nombre incroyable de visites : David mon co-accidenté très secoué par ce triste évènement et qui m’amenait à chaque fois davantage de messages de soutiens postés sur Internet ; des skieurs chevronnés avec lesquels j’ai pu avoir des discussions intéressantes sur le risque et les accidents en montagne ; des collègues du labo sous le choc également ; du L qui à chaque fois me faisait rire jusqu’à exploser ma cicatrice et ma colonne vertébrale…

Je suis paralysé des jambes pour l’instant, mais mon moral n’est pas entamé. Ma foi en Dieu, le soutien de mes proches, et mon optimisme naturel n’y sont pas pour rien. Ces journées passées à l’hôpital à discuter et à réfléchir m’ont également permis d’analyser ce qui s’est passé le 15 Mai, au pied du couloir du Diable…

Analyse

J’ai commis une erreur. Un moment d’inattention, de négligence, les règles de sécurité ont été bafouées. David et moi sommes tous deux responsables.

Comme hypnotisés par cette pente dont la renommée n’est plus à faire et qui relève carrément de la mythologie du ski extrême, nous en avons oubliés les règles élémentaires de sécurité. Pire, des signes presque évidents auraient du nous alerter mais je les ai ignorés : une grosse accumulation à la consistance douteuse ; un départ récent de plaque un peu plus haut, dans une pente un peu plus raide ; la topographie classique de la plaque tapie au pied de rochers… Tant de signes qui auraient du nous inciter à la prudence, à prendre des distances, à être en alerte. Mais nous étions focalisés sur le couloir, son aspect blanc, l’étroiture qui s’annonçait difficile à négocier ski ou surf au pied, le retour de François qui nous a fait fanfaronner un peu trop…

Pourquoi ces erreurs ? Sans doute trop de sorties, qui se passent toujours bien, on en arrive à oublier les règles de sécu. Et puis le 15 Mai de cette saison plutôt sèche, on ne s’attendait pas vraiment à ces plaques friables que nous évitons tout l’hiver ! Et puis un excès de confiance en mon partenaire, et qui, bien que très expérimenté, est lui aussi un être humain faillible. D’autant plus faillible que lui aussi se reposait sur moi et sur mon jugement. Lorsqu’on est avec quelqu’un d’aussi expérimenté que soi, en qui on a confiance, on n’est pas autant en alerte que lorsqu’on se sent responsable d’un groupe, que tout le monde compte sur vous comme l’expert.

Je repense à cette citation de Dominique Perret, qui me faisait sourire et que je prends maintenant bien plus au sérieux : « Quand je skie, je reste tout le temps en alerte. J’essaie de ne pas me laisser endormir par la beauté du paysage. »

Des erreurs de débutants. J’en assume les conséquences, qui auraient pu être bien plus dramatiques. Par contre il m’est plus difficile d’assumer la souffrance que j’inflige à mes proches.

Vais-je remarcher ? Je suis plutôt confiant, mais je n’ai pas de certitude. En tout cas je vais me battre. Quoi qu’il arrive, plus rien ne sera plus comme avant. Un accident grave tel que celui-là vous transforme. Ma pratique de la pente raide n’est pas remise en cause. C’est dans des pentes « à vaches » qu’est arrivé notre accident. Bien sûr je serais encore plus prudent vis-à-vis de la nivologie, et surtout je ne me ferais plus avoir de la sorte. Mais bizarrement, ce n’est pas tant en montagne que mon comportement va changer, mais dans le reste de ma vie. Je ne veux plus être « esclave » des conditions de neige et de la montagne. Si Dieu le veut, je continuerais à faire de la montagne avec passion et à faire de la pente raide et engagée, mais ce ne sera plus ma priorité.

Avec la Nimp’Crew nous avions médiatisé l’art de buter, de renoncer devant des conditions pourries ou dangereuses, je veux dans l’avenir également « renoncer » à des sorties pour prendre le temps de vivre, ne plus être toujours à courir après les fenêtres météo, les conditions de neige. M’engager pour des causes qui me tiennent à cœur, sans prétexter que « je n’ai pas le temps ».

Nathanaël Schaeffer, le 16 Juin 2005.